Comme chaque année c’est le salon du Patrimoine qui se tient au Carrousel du Louvre! Une des vraies questions que l’on se pose lorsqu’on voit tous ces merveilleux artisans et savoir faire c’est qu’est ce que l’art de vivre à la française hier, aujourd’hui et demain? Nous souhaitons à cet effet vous parler de Guénolée Milleret. Elle est auteure, iconographe et enseigne l’histoire de la mode et du costume à l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs à Paris. Elle collectionne de longue date gravures et lithographies de mode, mobilier, vues d’intérieur, architecture et gastronomie des XVIIIe, XIXe et XXe siècles. Des morceaux choisis de ce fonds – contenant 13.000 documents à ce jour et régulièrement enrichi d’images inédites – sont en accès libre sur le site internet www.imagesguenomiller.com : l’iconothèque de l’art de vivre à la française…
Comment vous décririez-vous ?
Je me définirais comme quêteur et passeur de mémoire. Un mot fait le lien entre toutes mes activités : la transmission. Que ce soit au travers de mes ouvrages ou lorsque je prends la parole devant mes étudiants, une ambition m’anime : transmettre le goût du Beau (et du bien fait). Je prends à bon compte la doctrine de l’Union Centrale des Arts Décoratifs : « Entretenir en France la culture des arts qui poursuivent la réalisation du Beau dans l’Utile ».
Or, pour transmettre, il faut dérouler un discours graphique. Une amie me décrit comme une « archéologue de l’image » : depuis une dizaine d’années en effet, je numérise en très haute définition et restaure graphiquement les images des recueils et ouvrages dont je fais régulièrement l’acquisition. « Faire œuvre » par la collection, c’est reconstituer un passé « vivant » à la lumière duquel, je l’espère, le temps présent se nuance et le futur s’invente.
Comment vous est venue l’idée de constituer une iconothèque unique en son genre, qui va de la mode à l’architecture en passant par la décoration intérieure et la gastronomie ?
Lorsque j’étais responsable des archives documentaires de la maison Yves Saint Laurent prêt-à-porter entre 1999 et 2008, j’ai observé de près le rapport très pragmatique qu’entretenaient les stylistes avec le patrimoine de mode. En réalité, c’est le « piquant du fantôme » que les stylistes avisés recherchent, une expression à porter au crédit de Baudelaire. Ne surtout pas plagier le passé, en garder seulement le piquant qui « reprendra la lumière du mouvement de la vie, et se fera présent ».
En d’autres termes, la création contemporaine projette, consciemment ou inconsciemment, un héritage colossal dans une perception aiguisée de l’air du temps.
A partir des images du passé, créer des œuvres originales nouvelles dans un format numérique, les consigner et les ordrer dans une iconothèque en ligne, c’est mettre à jour une véritable mine d’or à l’intention des créatifs et des esthètes.
Comment définiriez-vous l’art de vivre à la française ? Comment résonne-t-il au XXIe siècle ?
L’art de vivre à la française consiste bien sûr en un ensemble de styles qui appartiennent à leurs époques respectives et… révolues ! Mais on donne dans le passéisme si on se borne à cette acception. L’art de vivre à la française ne se réduit pas à une histoire des styles, il renvoie avant tout à une posture d’esthète, fort heureusement intemporelle.
Nous cultivons en France, depuis au moins le règne de Louis XIV, une façon de vivre qui relève d’une constante esthétisation du quotidien. Par exemple, lorsque nous nous mettons à table dans un restaurant, nous espérons vivre un moment idéalisé. Même si cette expérience culinaire est éphémère, de l’ordre de l’intangible, tout aura été savamment orchestré – le décor, la table, les mets – pour qu’elle reste un moment d’exception.
Le goût de l’idéal nous anime et la mode en est aussi un symptôme : égaler l’élégance de la Parisienne reste un défi de taille pour les étrangères… La mode nécessite de surcroît un décor pour sa mise en scène, voilà pourquoi elle est indissociable de la décoration et de l’architecture. Si les murs des premiers cafés élégants de la capitale, tel le Procope à Saint-Germain-des-Prés, étaient ornés de grands miroirs – une innovation de l’époque – c’était pour que s’y reflètent les toilettes des élégantes… Mais attention, l’art de vivre à la française n’est pas qu’affaire d’élite et de luxe : dans le Paris des années 1950, la midinette économe et discrète sait mieux que quiconque, le temps d’un soir, manier sa robe de soirée comme une reine.
En réalité, l’art de vivre à la française relève de l’image de marque nationale ! A l’heure de la mondialisation, il résonne toujours comme un étalon du Goût, une exigence de Qualité.
Comment justifier l’intérêt d’un fonds patrimonial auprès de jeunes créatifs pressés d’imprimer sur leur époque l’estampille de l’originalité, alors que les racines, la tradition envoient plutôt des signaux inhibiteurs ?
L’art de vivre à la française n’est jamais resté prisonnier de ses traditions, bien au contraire. Son ouverture vers les cultures et les savoir-faire étrangers témoigne de son foisonnement créatif. Il n’y pas plus internationales que la cuisine française et la haute couture parisienne !
La force de la cuisine française, en particulier, c’est l’insatiable curiosité de ses chefs. Elle ne se réduit pas à un corpus de recettes régionales figées, mais elle affine au gré du temps des méthodes, détourne des usages ou des produits pour mieux ravir nos sens, laissant le champ libre à toutes les déclinaisons. Sur ces bases, les cuisiniers français de toute époque créent de l’inédit et prouvent que l’héritage de la tradition est une clé pour l’innovation.
De même, la haute couture est un modèle d’internationalisation avant la lettre et réfute, dès 1910, un modèle unique « franco-parisien » : l’italienne Elsa Schiaparelli, l’espagnol Cristobal Balenciaga, le suisse Robert Piguet et plus tard, le libanais Elie Saab, les néerlandais Viktor & Rolf, le franco-tunisien Azzedine Alaia etc., tous sont venus enrichir de leur propre héritage et de leur vision, le patrimoine de mode. L’art et la culture sont tellement plus riches lorsque les frontières deviennent poreuses, là où le métissage opère…
Innovation et métissage sont donc les piliers fondateurs de l’art de vivre à la française : des notions qui, en soit, animent la création contemporaine.
Pouvez-vous expliquer plus en détail votre démarche documentaire ?
Les images proviennent principalement de la presse de mode, de l’édition d’art documentaire, des publications spécialisées ainsi que de recueils et ouvrages souvent rares donc difficiles à consulter. La numérisation assure une conservation pérenne. La retouche graphique permet en outre de rendre au regard contemporain le potentiel de désirabilité de l’image, de retrouver l’esthétique lissée, parfois maniérée qui prédomine dans l’art documentaire de ces époques. Chaque reproduction fait donc l’objet de retouches graphiques approfondies, afin de restituer la précision du trait, l’éclat des coloris et d’offrir à la consultation des images entièrement restaurées, comme « neuves ».Enfin, le thésaurus déploie plus de 2000 mots-clés : une formidable ressource lexicale déroulant un lexique de mode pointu ou encore, une palette de coloris diablement gourmande ! Les passionnés de couleur devraient y trouver leur compte…
Quelle ambition pour l’iconothèque de l’art de vivre à la française ?
Toutes ces images forment un formidable enchevêtrement de langages décoratifs, de formes, de styles, de matières et d’effets générés… Des dizaines de milliers de documents plus tard, je souhaite que l’iconothèque devienne une machine à rêver bien huilée ! Nourris de ces images toujours plus nombreuses, rares et précieuses, aux créatifs d’imaginerdes mondes encore plus imaginaires…
Quel est votre rêve ?
On dit que Paris est un livre d’histoire à ciel ouvert. Or, au-delà de l’Histoire, il s’agit aussi d’un Art du Temps que la capitale déploie sous nos yeux, qui renvoie à des sensations et stimule l’imagination. De ses sensations mémorisées, Proust a fait un mythe : la fameuse « Madeleine de Proust » n’a rien de nostalgique, bien au contraire ! L’émotion du souvenir est un ingrédient qui entre dans la composition des vies bien remplies… En fait, mon rêve est que nous puissions enfin nous projeter, armés de nos fantômes esthétiques, dans une nouvelle époque palpitante où la création serait reine.
Guénolée Milleret ‘s iconotheca or the French way of living ?
As every year, the Heritage Fair is held at the Carrousel du Louvre! One of the real questions we ask ourselves when we see all these wonderful craftsmen and know-how is what is the art of French living yesterday, today and tomorrow? To find aan answer we want to talk about Guénolée Milleret.
Guénolée Milleret is an author, iconographer and teaches the history of fashion and costume at the École nationale supérieure des Arts Décoratifs in Paris. She has long been collecting engravings and lithographs of fashion, furniture, interior views, architecture and gastronomy of the eighteenth, nineteenth and twentieth centuries. Selected pieces of this fonds – containing 13,000 documents to date and regularly enriched with unpublished images – are freely accessible on the website www.imagesguenomiller.com: the iconothèque of French art de vivre …
How would you describe yourself?
I would define myself as a questor and a smuggler. A word is the link between all my activities: transmission. Whether it is through my books or when I speak in front of my students, an ambition animates me: to transmit the taste of Beauty (and well done). I take the doctrine of the Central Union of Decorative Arts to good account: « To maintain in France the culture of the arts which pursues the realization of the Beautiful in the Utile ».
However, to transmit, it is necessary to unfold a graphic speech. A friend describes me as an « archaeologist of the image »: for ten years indeed, I digitize in very high definition and graphically restores the images of books and books that I regularly buy. « To make work » by the collection is to reconstitute a « living » past in the light of which, I hope, the present time is nuanced and the future is invented.
How did you come up with the idea of creating a unique iconotheque of its kind, from fashion to architecture, interior decoration and gastronomy?
When I was in charge of the Yves Saint Laurent ready-to-wear documentary archives between 1999 and 2008, I closely observed the very pragmatic relationship between fashion designers and fashion designers. In reality, it is the « spice of the ghost » that wise designers are looking for, an expression to be credited to Baudelaire. Above all, do not plagiarize the past, keep only the piquancy which « will take again the light of the movement of the life, and will be present ».
In other words, contemporary creation projects, consciously or unconsciously, a colossal heritage in a sharp perception of the times.
From the images of the past, creating new original works in a digital format, logging and ordering them in an online icon library is updating a real gold mine for the creative and aesthetic.
How would you define French art de vivre? How does it resonate in the 21st century?
The art of living in the French way is of course a set of styles that belong to their respective eras and … bygone! But we give in the pastism if we limit ourselves to this meaning. The art of living in the French way is not reduced to a history of styles, it refers above all to an aesthetic posture, fortunately timeless.
We cultivate in France, since at least the reign of Louis XIV, a way of life which is a constant aestheticization of everyday life. For example, when we sit down at a restaurant, we hope to live an idealized moment. Even if this culinary experience is ephemeral, of the order of the intangible, everything will have been skilfully orchestrated – the decor, the table, the dishes – so that it remains an exceptional moment.
The taste for the ideal drives us and fashion is also a symptom: to match the elegance of the Parisian remains a challenge for foreigners … Fashion also requires a decor for its staging, that’s why it is inseparable from decoration and architecture. If the walls of the first elegant cafés of the capital, such as the Procope in Saint-Germain-des-Prés, were adorned with large mirrors – an innovation of the time – it was to reflect the toilets of the elegant … But beware, the art of living in the French is not just a matter of elite and luxury: in the Paris of the 1950s, the economical and discreet girlfriend knows better than anyone, the time of a night, handle her evening dress as a queen.
In reality, the art of living in the French language is a national brand! At a time of globalization, it always sounds like a stallion of taste, a requirement of quality.
How to justify the interest of a heritage fund with young creatives eager to print on their time the stamp of originality, while the roots, tradition rather send inhibiting signals?
The French way of life has never been a prisoner of its traditions, quite the contrary. Its openness to foreign cultures and know-how testifies to its creative abundance. There is no more international than French cuisine and Parisian haute couture!
The strength of French cooking, in particular, is the insatiable curiosity of its chiefs. It can not be reduced but it refines according to the time of the methods, divert uses or products to better delight our senses, leaving the field free to all the declensions. On these bases, French cooks of all time create new and prove that the legacy of tradition is a key to innovation.Similarly, haute couture is a model of internationalization before the letter and refutes, in 1910, a unique model « Franco-Parisian »: the Italian Elsa Schiaparelli, the Spanish Cristobal Balenciaga, the Swiss Robert Piguet and later, the Lebanese Elie Saab, the Dutch Viktor & Rolf, the French-Tunisian Azzedine Alaia etc., all came to enrich their heritage and their vision, the heritage of fashion. Art and culture are so much richer when borders become porous, where miscegenation operates …Innovation and miscegenation are therefore the founding pillars of the French way of life: notions that, in themselves, animate contemporary creation.
Can you explain in more detail your documentary approach?
The images come mainly from the fashion press, the publishing of documentary art, specialized publications as well as books and books often rare and therefore difficult to consult. Digitization ensures long-term preservation. The graphic retouching also makes it possible to give the contemporary view the potential of image desirability, to find the smoothed, sometimes manicured aesthetic that predominates in the documentary art of these eras. Each reproduction is therefore the subject of extensive graphic retouching, in order to restore the precision of the line, the brightness of the colors and to offer the consultation fully restored images, such as « new ». Finally, the thesaurus deploys more than 2000 keywords: a great lexical resource with a sharp lexicon of fashion or a palette of devilishly greedy colors! Color enthusiasts should find their account …
What is the ambition for the iconothèque of the art of living in the French way?
All these images form a formidable entanglement of decorative languages, shapes, styles, materials and effects generated … Tens of thousands of documents later, I wish the icon library to become a dream machine well oiled! Nourished by these ever more numerous, rare and precious images, with the creatives to imagine even more imaginary worlds …
What is your dream ?
Paris is said to be an open-air history book. But beyond history, it is also an Art of Time that the capital unfolds before our eyes, which refers to sensations and stimulates the imagination. From his memories, Proust has made a myth: the famous « Madeleine de Proust » is not nostalgic, on the contrary! The emotion of remembrance is an ingredient that enters into the composition of busy lives … In fact, my dream is that we can finally project ourselves, armed with our aesthetic ghosts, into a new exciting time where creation would be queen.